31 oct. 2010

Rouyn-Noranda et la planète Mars...


Je vais y aller différemment. J’ai pas eu mon accréditation. Je ne fais donc pas partie de la presse pour cette 29ième édition du festival de cinéma international de Rouyn-Noranda. Je ne suis même pas à proprement dit un festivalier. Ma sœur à eue l’idée d’offrir le forfait festival à ma mère de 87 ans qui désirait depuis longtemps refaire un tour en Abitibi et participer à l’évènement. Nous avons deux forfaits pour trois personnes. Nous devons donc faire garde partagée de ma mère pour les évènements du festival. Ma sœur offre et moi j’ai la carte de crédit. C’est généralement comme ça que ça fonctionne et c’est très bien. Grande sœur s’occupe de Candide, ma mère, comme une sainte. Candide, énormément vivante et autonome mais qui subie quand même, quand même… le poids des ans. Elle ne prendra pas sa voiture pour rejoindre grande sœur, mais l’autobus cette fois. Ce n’est pas qu’elle rebute traverser le parc des Laurentides au volant de sa petite machine mais maintenant, elle préfère ne plus conduire de nuit. Les filles sont arrivées de Québec ce jeudi et le lendemain nous partions pour la mystérieuse Abitibi. Seule région du Québec où je n’étais encore allé.

Je vais y aller différemment. Je ne suis pas accrédité. Ce qui me place dans une certaine zone de confort, la marge. Je suis habitué à la marge. À ma naissance, l’ange responsable de ma venue n’avait probablement pas eu une bonne journée. Sans doute s’est-il dit, celui-là, qu’il mange de la marge…

Remarquez que la marge c’est pratique, ça permet de se déplacer plus rapidement, d’éviter les paragraphes laborieux du grand texte de la vie… Quoique de temps en temps il faille bien plonger dans les phrases et subir quelques mots…

Nous avons cherché un endroit pour manger un peu avant la première projection. Cherché par hasard et, bien entendu, tombé dans un endroit particulier, lors d’un évènement particulier. Je ne vous ai pas raconté l’histoire de ma vie? Faudrait que je le fasse éventuellement. C’est toujours comme ça.

Le resto 7-4-7 est un petit endroit sans prétention sur la rue principale de Rouyn. Il faut commander au comptoir les plats de restauration rapide que nous connaissons tous, poutine, burger, poulet en cuisse et le reste. Pas le genre d’endroit ou nous nous serions attendus à voir des écriteaux « Réservés » sur certaines de la dizaine de tables de la place. Le patron doit d’ailleurs nous libérer une de ces tables pour que nous puissions nous asseoir.

- Pas de problème on va s’organiser.

Certaines personnes sont déguisées. C’est bien sûr la soirée des partys d’Halloween, ce doit être cela. Cependant, au moment ou ma sœur et moi entamons nos Fish-and-chips et Candide, son quart de poulet en cuisse, une fillette de 10 ans déguisée en mariée ou Sainte Vierge - je ne vois pas bien la différence - s’installe au micro de la petite scène de fortune élaborée à l’avant du restaurant et s’adresse à nous avec une assurance déconcertante.

- Bonjour, mon nom est Carol Anne et je vais maintenant vous interpréter quelques extraits de mon dernier CD.

Sur ce, la petite Carol Anne s’exécute et farcie l’atmosphère de plusieurs chansons sans la moindre hésitation, avec les effets de voix et tout et tout. Bon, j’ignorais que Rouyn-Noranda possédait une mini Céline Dion…

J’ai soudainement l’impression d’avoir, sans m’en rendre compte, bifurqué vers la planète Mars lors d’une jonction de la 117.

- C’est depuis que le Triolet à fermé, nous explique Roger Poirier propriétaire du martien restaurant, il y avait plus de place pour la scène locale émergente. Alors on fait des soirées une fois par semaine. J’aime ça. C’est moi qui traîne le stock de mon fils qui a un band heavy metal. Môdit qu’y font du bruit ces jeunes là!

Sur ce il retourne à sa minuscule cuisine en rigolant.

J’ai compris, nous sommes tombés sur une de ces multitudes de petites planètes Mars qui gravitent autour des communautés Québécoises. Je ne peux pas m’empêcher de me sentir bien, chez moi, tant c’est représentatif des gens de nos régions qui se regroupent et font des choses pour leur milieu. L’Abitibi c’est comme le Saguenay où j’ai grandi, Le Bas St-Laurent où j’ai étudié, La Mauricie où je suis devenu un artiste et Montréal…

Montréal c’est autre chose. Montréal c’est comme le film de Robert Ménard, celui que nous avons vu en première mondiale. Ah oui, il ne faut pas oublier, je suis ici pour le festival de films…

Candide et moi quittons grande sœur à la sortie du restaurant. C’est moi qui accompagne ma mère à la soirée d’ouverture. Nous faisons le trajet à pied, doucement, vers le Théâtre du cuivre où nous arrivons les premiers et buvons lentement un verre en regardant les gens remplir le foyer.

Ensuite, bien tassés parmi les autres forfaitaires meublant le balcon du théâtre du cuivre, nous retrouvons encore des morceaux de la planète Mars québécoise sous la forme de nos voisins de banquette. Candide fait connaissance avec des gens du Saguenay alors que moi je discute agréablement avec un ancien de la centrale nucléaire de Gentilly où j’ai moi-même travaillé. Le monde est petit.

Puis la soirée commence. Je vous fais grâce des discours protocolaires qui ne furent cependant pas trop longs ni trop plates. C’est aussi Jacques Matte qui parla au nom des trois fondateurs du festival, Louis Dallaire et Guy Parent à ses côtés. Encore là tout fut bref, les amoureux du cinéma préférant de toute évidence faire parler l’écran géant qu’eux-mêmes.

Au programme deux cours métrages, « The cow who wanted to be a Hamburger » de l’américain Bill Plympton, une délicieuse petite animation racontant les efforts et les surprises d’une vachette voulant être suffisamment baraquée pour être choisie par les marchants de viande, ne comprenant que plus tard les implications funestes de l’exercice et « Glenn Owen Dodds » de l’Australien Frazer Bailey, une petite fable humoristique très réussie sur la rencontre d’un jeune homme avec Dieu.

Puis la projection principale, le Robert Ménard.

« Reste avec moi » est un beau film, bien réussi. Il vous humectera le coin des paupières le moment voulu et vous fera réfléchir sur le déchirement familial quand ce sera le temps de le faire. C’est bien ficelé, enrobé d’une très bonne direction photo et pas trop mal scénarisé. Gérard Poirier joue un rôle de type « Gérard Poirier » et Louis Morissette un de type « n’importe qui d’autre que Louis Morissette » dans lequel il me semble aussi parachuté que le fut Stéphane Rousseau dans « Les invasions barbares ». C’est peut-être une question de direction d’acteur ou de choix de plans. Il aurait peut-être fallu le cadrer un peu plus pour aller chercher le registre des expressions de son visage. Je ne sais pas, je ne suis que le l’idiot de service qui donne sa pauvre opinion…

Danielle Proulx a encore héritée d’un rôle de la madame paumée, alcoolique dans le cas qui nous intéresse. Mais c’est une comédienne magnifique et elle est toujours criante de vérité. Vincent Bilodeau se charge d’être le discret mari. Petit rôle de soutien qu’il soutien justement avec générosité. Il a fait exactement ce qu’il devait faire pour servir le film, parfait.

Je connais peu Julie Perrault qui tien le rôle de la mère mono parentale qui doit gérer les facéties de sa fille. C’est de ma faute, Je dois m’organiser pour la voir plus. Elle est très crédible en mère débordée et son bizarre regard qui semble chercher partout à la fois la sert très bien. Cette expression ressemble un peu cependant à ce qu’elle faisait dans la superbe série « Minuit le soir ». C’est pour cette raison que j’ai hâte de la voir dans d’autres registres, mea culpa car elle ne chôme pourtant pas, autant au cinéma qu’au théâtre et maintenant même dans la photographie (J’aime les gens qui font plein de choses).

La petite Alexandra Sicard qui avait six ans au moment du tournage est sublime. C’est particulièrement difficile de faire jouer la comédie aux enfants, pourtant rien de faux ne transparait. On y croit du début à la fin, chapeau!

Je vous dirai peu de chose de Maxim Roy qui joue la conjointe de Louis Morissette, sinon je suis parti pour un bon vingt pages… Cette comédienne crève l’écran même lorsque qu’elle ne fait que se ternir recroquevillée sur un divan. Livraison du texte, ton et expression. Cette fille ne joue pas mais s’utilise elle-même comme instrument dramatique. Bon, ça y est, je vais encore tomber amoureux…

Parlons maintenant Joseph Antaki, vous ne le connaissez pas? Et bien j’espère que vous aurez l’occasion de le connaître plus. « Reste avec moi » est film choral, il explore donc le destin de différents personnages qui se recoupent à certains points du film. Joseph Antaki et Fariba Bonakdar jouent un couple d’émigrés, lui travaillant au noir dans une entreprise de terrassement et elle s’usant dans un sweat-shop, tous deux à la merci de patrons et logeurs véreux. Quoiqu’un peu caricatural (les patrons sont tous méchants), ce segment représente quand à moi un sujet de film à lui tout seul. C’est bien filmé, bien joué, sobre et glauque à souhait. Ménard s’amuse à alterner entre l’abime du jeune couple d’émigrés et l’appartement hors de prix abritant Maxim Roy et Louis Morissette qui eux sont à l’autre bout du spectre. Monsieur Antaki et Madame Bonakdar sont excellents dans leurs rôles. Rien à redire, on y croit. Le scénario donne un peu plus d’espace à Joseph Antaki, confronté entre sa bonté et une situation sans issue où il doit travailler pour son détestable propriétaire afin de ne pas être, lui-même, mis à la porte de son appartement. Encore un bon mot pour la direction photo. Le bloc appartement miteux où abouti le couple est très bien représenté. Notez les scènes où le mari émigré doit collecter le loyer chez un vieux habitant un appartement encombré de chats et une jeune mère célibataire, on y croit.

« Reste avec moi » c’est Montréal. Le quartier de la bourse et les taudis. Une réflexion sur la fragilité du bonheur, les relations familiales et les disparités sociales. C’est évidemment un meilleur travail que les navets alimentaires « Cruising bar » que nous as servi précédemment le réalisateur, sans parler « Du bonheur de Pierre » qui est à peu près passé inaperçu y compris pour moi qui ne l’a pas encore vu.

C’est un meilleur travail mais Ménard s’est peut-être donné un boulot trop large avec ce film qui contient de la matière pour en faire quatre… Résultat, on reste sur notre faim à certaines occasions et on a peine à croire à la densité des évènements dans d’autres. J’ai hâte de le voir resserrer sa lunette et creuser son goût pour l’humanisme d’une manière plus posée. Après tout avec « Reste avec moi » Ménard commence à jouer dans la cour des grands et on ne peut que le féliciter pour cela.

À côté de moi, Candide a versé une larme. J’assiste à une ovation debout à la fin de la représentation.

Nos nouveaux amis nous proposent de nous reconduire à l’hôtel, ce que j’accepte avec plaisir étant donné que la petite Candide commence à être fatiguée.

Et puis moi, un peu plus tard, je vais aller me perdre dans Rouyn.

Histoire de trouver d’autres planètes Mars…



McLeod