13 déc. 2014

Le fumeur de gauloises


Je ne sais toujours de quoi j’ai l’air.  Ce soir là j’avais, j’imagine, l’air de moi.  Fumant une cigarette à la sortie d’un métro en clavardant avec une amie à laquelle je me proposais de rendre visite.  Un jeune homme me demande une cigarette.  Chose que je refuse rarement.  J’offre même parfois de  mon propre chef l’objet aux gens qui me tendent la main dans la rue.  Je n’ai jamais beaucoup de monnaie mais j’ai toujours des cigarettes.  Le  geste est généralement bien accueilli.  Sauf une fois, un sans-abri exceptionnellement non fumeur qui me regarda d’un air voulant dire « Hey mec, tu trouves pas que j’ai pas assez de problèmes comme ça? ».

Mais revenons à ce jeune homme auquel offre donc une cigarette tout en continuant la conversation que j’avais du bout de mes doigts avec mon amie.

- Des gauloises!.  Vous avez l’air de quelqu’un qui fume des gauloises.

Du moins j’apprenais ce soir la couleur de mon air.  Celle d’un fumeur de gauloises.

Je lui précise que c’est du tabac blond, et que ce sont les plus faibles qui puissent êtres, comme pour m’excuser de ne pas être un fumeur invétéré de cigarettes fortes et odorantes comme on pourrait penser qu’un fumeur de cigarettes européennes l’est.

Et puis il me parle et m’accompagne un bout de chemin alors que je me dirigeais vers l’amie qui maintenant, au bout de notre conversation numérique, attendait ma venue.

Ce n’est pas que je cherche de la compagnie mais c’est parfois la compagnie qui me cherche, prenant la forme d’un demandeur de cigarette ou autre.  Je ne sais pas pourquoi, je dois avoir l’air d’un type qui cherche la compagnie des autres.

Volubile, le jeune homme démarre sur la généralisation de l’utilisation des téléphones intelligents au détriment des ‘vrais’ conversations et sur ma propre concentration sur le petit appareil alors qu’il était, tout-à-l’heure, lui-même à me parler.  Je précise que j’étais moi-même en conversation avec quelqu’un, aussi numérique que conversation puisse avoir été.  Mais je me rend bien vite compte que mon doux argumentaire ne démonte pas l’individu.  J’ignore même s’il y fit la moindre attention, continuant sur sa lancée alors que nous arpentions le trottoir.

J’ai parfois l’impression que dans la balance des choses, la jeunesse use grandement de cette motivation quelle propage comme elle peut, selon l’inspiration du moment et les tendances de son coeur, comme une vague déferlante qu’on ne peut retenir et pour laquelle il faut bien trouver une cause afin éviter l’inondation de l’âme.  Mon nouvel ami, avec forts gestes et paroles, me parle de l’horrible situation dans laquelle le monde se trouve, les gens condamnés à marcher le dos courbés, fascinés par le carré de lumière qu’ils tiennent dans leur main, les ‘vraies’ conversations misent au rancard, substituées par l’électronique.  J’opine à ses affirmations, en toute lâcheté et heureux que son débit ne me permette pas de rétorquer.  Comment lui expliquer que ce genre de réflexions devaient être les même qu’au moment de l’invention du téléphone?  Que je crois que l’utilisation de l’outil est bien plus à blâmer que l’outil lui-même.  Que je travaille dans le domaine des TI et que je possède une panoplie complète des gadgets qu’il maudits, que ma montre est connectée à mon iPhone et qu’une caméra web me permet même de vérifier le bien-être de mon chat alors que je suis au boulot.  Que je ‘Skype’ avec ma mère de 91 ans tous les jours et que Facebook me permet de conserver le lien avec mes amis qui n’habitent pas à Montréal où je ne connais presque personne.  Que j’utilise mon iPad au bureau de manière presque abusive…  Que je suis un geek fini….

Finalement il s’engouffre dans une porte menant à une destination que j’ignore et pour laquelle j’ai peu d’intérêt, non sans m’avoir chaleureusement salué, heureux de notre conversation et moi de son départ.

Soulagé, car j’étais presque à destination et que je suis de cette génération qui rebutent d’informer où ils vont, surtout quand c’est chez une dame, de peur que l’ont viennent ensuite l’ennuyer, sachant dans quelle porte ils m’ont vu m’engager.  Je suis de cette génération qui craint pour les dames et qui s’octroie, peut-être à tord, de les protéger.  Ainsi en toute avenue, aussi minime que soit les risques, il me vient l’idée qu'il est possible qu'un malheur survienne et qu'il me faut l'éviter, ne pouvant concevoir ou supporter qu'une maladresse de ma part cause préjudice à une dame de ma connaissance.  Je considère que ce monde est dangereux et n'y accorde que peu de confiance.  Croyant dur comme fer que pour les nombreuses personnes que je considère des gens biens il existe une myriade d'âmes perdues et dangereuses, prisonnières des méandres de leurs esprits et sujettes aux comportements les plus imprévisibles.

Toutes ces considérations font de moi un être revêche, peu porté aux nouvelles connaissances et suffisamment lâche pour éviter la confrontation avec les inconnus. Je réserve mes opinions pour la compagnies de gens dont je connais suffisamment les airs pour être assuré de la justesse de leur caractères et de la stabilité de leurs tempérament, évitant d'un côté le soliloque de ceux qui savent tout et dont on ne peut tirer la moindre ouverture envers d’autres opinions que les siennes et la colère de l'idiot persuadé que l'émotion qui le transporte ne peut qu'émaner de la justesse de ses affirmations, lesquelles lui donnent doit de lever le ton et même le bras si d'aventure il se retrouve retranché dans le bazar de ses croyances par une juste remarque à laquelle il n’aura de réponse que la frustration et le mécontentement.

Je préfère ceux qui doutent.  Peut-être par esprit de fraternité ou recherche des zones confortables. Il m’apparait que les septiques usent de plus de raisonnement que de calories ce qui me pousse à croire qu’une discussion avec eux possède de meilleures chances d’aboutissement, dans un sens ou dans l’autre, peu importe que je convainque où soit convaincu du moment où nous aurons l’impression d’approcher d’une sorte de vérité ou au moins d’écarter les avenues les plus burlesques et échevelées.

Je monte maintenant l’escalier qui me permettra de prendre quelques minutes pour dire bonjour et recevoir quelques nouvelles de mon amie.

J’aimerais vous dire qu’il ne me faut que peu de temps pour oublier le jeune individu mais il n’en est rien, Je n’oublie jamais rien, au mieux tout se transforme à force d’accumuler les couches de souvenirs les unes sur les autres.

Je cherche encore la signification de tout cela…